Nouveau regard sur mon accouchement
J'ai récemment eu la chance de revoir M. La sage-femme extraordinaire qui était à mon accouchement à l'hôpital Lasalle. Elle y faisait son stage en milieu hospitalier dans le cadre de sa formation de 4 ans pour devenir sage-femme.
- M, te souviens-tu de mon accouchement?
- C'est sûr que je m'en souviens! C'est tellement rare les accouchements sans épidurale à l'hôpital, et ton chum et toi étiez vraiment beaux, il y avait beaucoup de force qui se dégageait de toi pendant ton travail.
- Je voudrais savoir deux choses qui me turlupinent: Quelle complication ai-je évité? et aussi Pourquoi je n'ai jamais eu le "réflexe de poussée"?, ce réflexe naturel où tout ton corps pousse tout seul et le bébé sort...
Je m'explique: Lors de l’accouchement de Matteo, toute la phase des contractions fut un rêve! C’était très intense mais pas du tout douloureux. Le travail a commencé à la maison, la nuit et tout allait bien. Puis, Pascal et moi étions seuls dans la salle-de-bains de l’hôpital afin d’être laissés en paix (dans la chambre la circulation des infirmières, la lumière, le médecin, tout ça m’empêchait de me connecter à mon instinct, d’entrer en moi). A chaque contraction, tout était si « smooth », comme une danse primordiale, tout était dans l’ordre des choses. En 4h30 j’étais « complètement dilatée » selon mon médecin (ce qui est très rapide pour un premier accouchement). Et c’est lorsqu’il m’a dit que maintenant c’était le temps de pousser que ça a commencé à être très très très difficile.
La phase de la poussée, qui normalement est assez rapide (+/- 20 minutes) et vient d’une envie très forte de tout le corps de la mère d’expulser le bébé, eh bien pour moi ce fut l’enfer. C’était tellement douloureux et long (plus de 2 heures!). A un certain moment, le médecin m’a dit sur un ton très sérieux : « là il faut vraiment pousser » et je me suis dit : « il faut arrêter d’être une chochotte, sinon ça va mal aller et ça va finir en césarienne »… Dans son ton, je sentais qu’il y avait un « danger », une complication en vue et j’ai eu peur. J’ai poussé tellement malgré la douleur très intense et Matteo est né.
Cette poussée m’a traumatisée. Sur le coup, je me suis dit que je ne voudrais plus jamais d’enfants… que ça avait pas de sens à quel point ça m’avait fait mal. Le fait de ne pas avoir eu le réflexe de poussée comme toutes les femmes que je connaissais m’a fait douter de mon corps « Suis-je normale? », « Pourquoi moi je n’ai pas été capable de pousser? ». Bien sûr, j’étais tellement heureuse d’avoir mon bébé dans mes bras et d’avoir eu un accouchement sans intervention (pas d’épidurale, d’épisiotomie, etc.) mais j’étais marquée au fer blanc par cette poussée…
C’est pour ça que je suis allée voir M. J’avais besoin de savoir… savoir pour reprendre confiance en moi, en mon corps, savoir que je serais capable d’accoucher à la maison pour un second enfant.
- Oh Joanna, si tu savais… Ton médecin, il t’a fait pousser à 8!!! Il t’a fait pousser avant d’être complètement dilatée (10 cm)! A un moment donné, parce que ça n’allait pas aussi vite qu’il avait prévu, il a dit « qu’il allait t’aider », et j’étais scandalisée, je me disais « ben voyons, cette femme là n’a tellement pas besoin d’aide! Laissez-là aller et tout ira bien! ». A ce moment, il a introduit ses doigts dans ton corps et à forcé la dilatation du col. Tu as poussé un de ces cris de douleur et moi je capotais. Déchirer ainsi volontairement ton col avait comme seul effet que ton corps entier se rétractait, avait peur et mal. L’infirmière avait vu le choc sur mon visage et m’a dit par après « il fait ça à toutes les femmes, il les fait toujours accoucher à 8! »
- Quoi!!!! Mais…mais… pourquoi il a fait ça? dis-je en tremblant d’émotion, en tremblant de colère… en me remémorant ce moment si pénible.
- Pourquoi tu penses?
- Je sais pas moi, comment on peut faire un truc pareil!
- Pour arriver à l’heure à sa consultation, tiens!
- Mais… Mais… Mais… c’est pas possible… comment c’est possible?!? J’étais tellement révoltée. Je revoyais les deux heures défiler devant moi, cette lutte avec moi-même contre les sentiments qui m'envahisaient "je ne suis pas capable, c’est trop dur"… Soudain, une marée de tristesse m’emplissait, j’avais l’impression d’avoir été trahie par cet homme, qu’il m’avait volé une partie de mon accouchement.
- Tu sais, il y a des médecins qui n’ont pas l’habitude de voir des femmes sans épidurale. Ils ont l’habitude d’être en contrôle de la situation, de dire quand pousser et quoi faire car la femme ne sent plus ses contractions. Ils ne font plus confiance au corps et ne voient que les complications possibles. Et puis, tu avais l’air d’avoir tellement de force et de pouvoir pendant ton travail, il y a des hommes qui ont un besoin de « t’aider » et d’ainsi t’enlever une partie de ton pouvoir : eux, ils savent, eux ils t’aident car bien sûr, tu as besoin d’aide…
- Et que se serait-il passé d’après toi s’il n’avait pas fait « ça »…
- Tu aurais probablement accouché +/- au même moment, sauf que ça aurait été à ton rythme et à celui du bébé, au lieu d’être un combat psychologique intense pendant ces 2 heures. Au bon moment, un peu après être complètement dilatée, tu aurais eu le réflexe de poussée comme toutes les femmes du monde. Tu n’aurais pas eu si mal car ça aurait été progressif et initié par ton corps à toi. Tout allait bien quand ton chum et toi vous étiez seuls. Toi, tu aurais très bien pu accoucher chez vous sans personne…
Ouf! Ces mots, cette rencontre m’ont libérés… bien sûr j’étais révoltée, mais en même temps, maintenant, JE SAIS! Je sais que mon corps n’a pas de défaut, que c’est une intervention d’un médecin trop pressé qui a rendu la fin de l’accouchement difficile mais que sans cela, tout aurait été si simple. Je me sens libérée. Pour un prochain bébé, c’est décidé, ce sera à la maison et tout sera si beau!