Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Un bébé, une Odyssée...
21 juin 2010

S'enraciner

IMG_0172 IMG_0175

Je ferme les yeux et inspire trois fois profondément. Je sens le soleil sur ma peau; c’est l’été! La musique sublime du vent dans les feuilles des arbres centenaires des voisins m’habite complètement. Matteo dort comme un ange. Mmmmerveilleux. Le bonheur pur!

Je me souviens, il y a trois ans, lorsque j’étais venue visiter la maison, je m’étais assise sur le patio, je regardais danser ses arbres si majestueux, je me laissais bercer par cette même musique, et je suis tombée en amour avec ce lieu. Je n’étais même pas encore entrée dans la maison que je savais déjà qu’ici était le lieu où notre petite famille s’enracinerait, où nos enfants gambaderaient joyeusement. J’avais une vision, vous savez ce flash comme un rêve éveillé qui dure un millième de secondes : j’ai vu des enfants courir et rire dans cette cour immense (on s’entend, immense en termes montréalais). Enfin, j’avais trouvé un endroit où déposer mes bagages et laisser mes pieds devenir racines. Après avoir quitté ma Belgique natale à 18 ans pour un voyage d’un an autour du monde,  vécu une autre année en Italie et voyagé en Europe de l’Est avec Pascal, c’était enfin le moment de jeter l’ancre.

Je me trouve tellement chanceuse et privilégiée de vivre ici, dans cette petite maison de briques rouges où les planchers de 1870 racontent leur histoire, où l’espace permet de respirer et penser clairement, où tout est épuré, gardé au plus simple, où les matériaux ont une âme et une beauté intrinsèque. Pas très grande, juste comme il faut. Chaleureuse en hiver lorsqu’on s’enroule dans des couvertures autour du foyer au bois, énergisante en été lorsque notre immense jardin devient notre havre! On se sent si loin de la ville dans notre petit quartier bien enclavé de Pointe-St-Charles, avec notre cour entourée de tant d’arbres qu’on dirait une petite forêt. Et pourtant, il suffit de monter sur le toit où Pascal vient de finir de construire une magnifique terrasse pour les locataires, pour avoir une de ces vues imprenables du centre ville, qui en fait n’est qu’à 8 min de bus d’ici!

IMG_0174 IMG_0181

Il n’y a pas de solution facile. Je crois que l’idéal pour avoir un quartier vivant et « équilibré » serait qu’il y ait une mixité d’usages (proximité entre les commerces, les maisons et appartements, les bureaux, les bâtiments publics et communautaires comme les bibliothèques, écoles et les centres sportifs) et une mixité sociale (gens de milieux variés au niveau de leur salaire mais aussi de leur origine et de leur âge). Un quartier vivant, c’est un quartier où on peut aller à pied ou en vélo chercher son journal, faire son épicerie, jouer au parc avec son fils, socialiser avec les voisins et même idéalement, aller travailler! Moi chanceuse comme je le suis tant dans la vie, j’ai tout ça, ici même dans mon quartier!

Enclavé? Oui mon quartier est le champion pour ça : le fleuve St-Laurent au Sud que j’aime longer en vélo sur la belle piste cyclable qui va jusqu’au bout de l’île de Montréal, le canal Lachine et son marché Atwater où je vais faire mes emplettes chaque semaine au Nord, l’autoroute et le pont Champlain à l’Ouest et le pont Victoria à l’Est. Ajoutez à ça la voie de chemin de fer et la gare de triage du CN ! Pas étonnant que tout le monde se perd quand ils viennent chez nous pour la première fois. Pointe-St-Charles (PSC pour les intimes) est un quartier bien méconnu, un petit bijou à découvrir et qui prendra de la valeur avec le temps. C’est un quartier qui a vécu bien des choses : second plus vieux quartier de Montréal après le « Vieux », il se développe autour de l’axe névralgique qu’est le canal Lachine et la voie ferrée qui le borde. Des centaines de manufactures s’établissent là et utilisent la puissance de l’eau pour faire tourner leur moulins ou pour y déverser leurs déchets, le train permet d’apporter les céréales de l’Ouest américain et on les transforme dans PSC. D’immenses silos à grain et les carcasses en briques de toutes ces manufactures où se tuaient au travail la plèvre québécoise et immigrée  sont aujourd’hui les témoins du boom industriel du siècle passé. Le développement de l’auto, des camions et de tout le réseau routier pour remplacer la suprématie des voies maritimes et du train et les changements majeurs de l’économie (la mécanisation, la tertiairisation et le transfert des jobs de l’industrie vers les pays du Sud) au courant du XXs entraînèrent une mutation profonde du quartier. Les unes après les autres, les manufactures fermèrent leurs portes : raffineries de sucre Redpath, usines à fabriquer des cordes pour les bateaux, la Nothern electric company (le nordelec) l’immense bâtiment trônant sur la rue St-Patrick et qui constituait une « ville dans la ville » avec ses 17 000 employés dans la période dorée, etc.

La rue « St-Patrick », cette rue où se trouvent les bureaux d’Equita, l’entreprise de commerce équitable pour laquelle je travaillais (eh oui je pouvais aller à pied en 10 min ou en vélo en 3 min à mon travail!), nous rappelle que ce sont les Irlandais et tous les pauvres miséreux du Vieux Continent qui vinrent peupler PSC avec des rêves à leur crever le cœur. Et qui se retrouvèrent à travailler comme des bêtes 7 jrs sur 7, 12h par jour dans ses usines qui maintenant sont reconverties en chics « Lofts Redpath » à 700 000$ l’unité!

Eh oui, la fameuse « gentrification ». Comme sur le plateau il y a 20 ans et à Hochelaga-Maisonneuve (Ho-Ma pour faire cool) maintenant, ce phénomène de « relifting » du quartier se produit à fond de train. Notre bloc; un 4-plex transformé en 3-plex,  en est un excellent exemple. François, le gars à qui on a acheté l’a eu pour une bouchée de pain (115 000$ si mes souvenirs sont bons). L’état de l’immeuble faisait peur, sa mère n’osait même pas y mettre les pieds. Rats, locataires d’une insalubrité inhumaine (il y avait une dame qui ne sortait jamais ses poubelles hors de son appart!), cour arrière équivalente à une « cour à scrap ». Tout était à refaire. François à travaillé comme un fou pendant 2 ans, ses parents venant l’aider le week-end, habitant tour à tour chacun des logements afin de pouvoir les rénover un à un, investissant plus de 100 000$ pour tout rénover, enlevant les 4 couches de plancher pour découvrir « l’original » caché, faisant sa vaisselle dans le bain, perdant sa blonde en chemin (écoeurée de ne plus avoir de vie ni de chum)… Pour finalement nous le revendre 370 000$ « clé en main », avec les cactus, le système de son, le frigo à bière etc. inclus! Toute une aubaine pour nous! Les locataires payent 70% de notre hypothèque et notre maison est rénovée avec goût. On a plus rien à faire, seulement apporter notre linge!

Ainsi se passe la gentrification. On tasse les pauvres, on les chasse… C’est très « touché » comme sujet, c’est pas simple. On peut être contre et lutter pour que cela n’arrive pas. Mais comme dirait François : c’est une bataille perdue d’avance. C’est le cycle inévitable de l’immobilier : un quartier se dépérit, est à l’abandon car les locataires s’ils sont très pauvres ne prennent pas bien soin de leur logement, puis, des gens comme lui qui ont des projets et de la sueur à revendre achètent pas cher, retappent (on dit parfois « flippent ») et puis revendent. Dans notre rue, c’est la même histoire à répétition, les uns après les autres. Ce qui est sûr c’est que tout son labeur à ajouté une énorme valeur à ce bâtiment qui était tout décrépi. S’il n’y avait pas eu un François, peut être serait-ce un jour devenu une ruine…

Il n’y a pas de solution facile. Je crois que l’idéal pour avoir un quartier vivant et « équilibré » serait qu’il y ait une mixité d’usages (proximité entre les commerces, les maisons et appartements, les bureaux, les bâtiments publics et communautaires comme les bibliothèques, écoles et les centres sportifs) et une mixité sociale (gens de milieux variés au niveau de leur salaire mais aussi de leur origine et de leur âge). Un quartier vivant, c’est un quartier où on peut aller à pied ou en vélo chercher son journal, faire son épicerie, jouer au parc avec son fils, socialiser avec les voisins et même idéalement, aller travailler! Moi chanceuse comme je le suis tant dans la vie, j’ai tout ça, ici même dans mon quartier! 

Publicité
Commentaires
L
Ta vision d'une cour pleine d'enfants s'est en effet concrétisée, vous qui recevez une foule d'amis et leurs progénitures. Votre maison est un véritable bijou, pour toutes les raisons évoquées dans ton billet. Oui, vous avez tous les ingrédients du bonheur à portée. Et depuis François, vous avez aussi investi de votre sueur entre ces murs. Longue vie à votre paradis!
Archives
Publicité
Publicité